Viktor Giacobbo

L’humoriste alémanique fait, ce dimanche, son retour sur les écrans alémaniques avec une nouvelle émission de satire inspirée de la politique suisse.«La satire s’intéresse à des problèmes sérieux. Voilà pourquoi vous, Monsieur Blocher, vous occupez souvent notre émission!» Mai 2002. Dans la salle zurichoise surchauffée du Kaufleuten, Viktor Giacobbo, enfoncé dans son fauteuil de maître, titille Christoph Blocher au fil de son émission TV satirique Spätprogramm. Costard, lunettes, stylo-bille et carnet de notes: dans sa tenue, Giacobbo affiche un sérieux qui contraste curieusement avec l’acidité de ses propos et le ton de son émission, cocktail d’interviews et de sketchs fantasques. Six mois plus tard, ce programme s’arrête, malgré ses douze ans de succès et ses émissions suivies jusque par un demi-million de téléspectateurs.

«J’ai décroché car je voulais prendre de la distance. J’avais envie de théâtre, de voyage, d’autre chose. Mais là, désormais, je suis prêt», racontait l’autre jour Viktor Giacobbo, croisé dans les coulisses de la télévision alémanique SF. Car ce dimanche 27 janvier, l’humoriste à la carrure de Woody Allen retrouve le petit écran, assisté de sa complice favorite: la satire. Giacobbo veut toujours, pour divertir, greffer ses sketches à des problèmes sérieux, et plus que jamais à la politique, que Christoph Blocher soit conseiller fédéral, leader d’opposition ou retraité en pantoufles. A quelques jours de la première, il répète, plutôt stressé, dans les couloirs de la télévision, n’accordant que des interviews minutées. Car son retour est très attendu.

C’est que Giacobbo est une institution à l’est de la Sarine. Sa cote de popularité peut rendre jaloux n’importe quel promi – c’est ainsi que l’on appelle les figures populaires ou politiques. Un jour, dans la rue, dites un rocailleux «soooo guet» au premier passant venu. Et celui-ci vous répliquera sans hésiter: Fredi Hinz. Ce Fredi, c’est un des personnages les plus connus inventés et interprétés par Giacobbo (Fredi, ses pétards aromatisés, ses problèmes sexuels). Sans oublier Harry Hasler, repérable à son torse velu. Ni la ménagère Debbie Mötteli. C’est de la satire grand public qui s’en remet aux tracas de la suissitude.

Pour sa nouvelle apparition hebdomadaire, l’humoriste de 56 ans, typographe de formation, se retrouve au Kaufleuten, toujours en public. Son acolyte est Mike Müller, humoriste et comédien très populaire, vu notamment dans le film Mein Name ist Eugen. «Je ne sais pas encore ce que nous allons faire», avance-t-il sans rougir. «Nous allons nous inspirer de l’actualité et des invités sur le plateau» (ce dimanche, le radical Otto Ineichen). L’émission puisera dans Spätprogramm, mix d’interviews assassines, de sketches et d’improvisation. Comme lorsqu’il revenait sur la punition radicale pensée par Samuel Schmid pour lutter contre les joints des recrues: leur imposer un remix du spectacle d’ouverture d’Expo.02…

D’abord reine des cabarets, la satire politique a une forte tradition en Suisse alémanique. De l’humour typiquement schweizerisch? En fait, l’histoire de la satire, bien qu’assaisonnée de dialecte, est liée à l’Allemagne et à ses artistes en exil en Suisse pendant les deux Guerres mondiales. «Très forte dans les années 70, la satire, souvent à gauche, est devenue une niche», estime Marco Ratschiller, rédacteur en chef du périodique satirique Nebelspalter. «Elle est aujourd’hui surpassée par la comédie, un rire plus grand spectacle qui n’exige pas une fine connaissance du cosmos politique.»

Pourtant avec Franz Hohler, Lorenz Keiser ou Andreas Thiel, les héritiers existent. Marco Ratschiller: «Viktor Giacobbo a assis sa réputation avec la parodie et ses figures clés. En revenant à la télévision, il prend des risques. Quand elle plaît au très grand nombre, la satire devient un genre périlleux.» En Allemagne, Harald Schmidt, routinier de la pique, s’est essayé à un come-back télévisuel. Mi-figue, mi-raisin. A la télévision alémanique, on se défend de réchauffer une valeur sûre. «Nous voulions retrouver un animateur fort pour la satire. Les quatre émissions d’humour lancées depuis 2002 n’ont pas toutes connu un même succès», explique Rolf Tschäppät, responsable de l’humour.

Durant ses cinq années loin des plateaux, Viktor Giacobbo s’est investi dans le cinéma, sans véritable réussite il est vrai, malgré le succès de Micmac à La Havane en terre alémanique. Il s’est aussi illustré sous la tente du Cirque Knie en 2006 et surtout à la tête du Casino-Théâtre de Winterthour, devenu la tanière zurichoise du rire. Là, le comique a ravivé ces soirées de cabaret qui ont vu ses débuts d’autodidacte. C’était bien après le jour où le petit Viktor prit goût au discours qui dérange, quand, enfant, il raconta à haute voix à sa tante ce que sa mère en disait quand elle était absente. Dévoreur de journaux, Giacobbo vote à gauche mais singe aussi bien Samuel Schmid que Moritz Leuenberger, soudain très harassé et dépressif.

«En cinq ans, le discours politique s’est durci. Les confrontations sont plus vives. Cela rejaillit sur mon inspiration. Mais je ne travaille pas avec une mission. Je propose un regard qui peut aider à éclairer ce que parfois on a voulu taire.» Le comique avoue qu’il n’est pas évident de naviguer avec la dérision, dans un système de concordance. «Mais l’opposition de l’UDC va peut-être nous faciliter la tâche.»

Et qu’en pensent les politiciens, qui restent les premiers concernés par le retour du satiriste? Le conseiller aux Etats radical Felix Gutzwiller ne tremble pas: «La satire est un art nécessaire. Je dois à mes origines d’aimer ce type de discours.» Le Zurichois n’a jamais été ni invité ni brocardé par Giacobbo, à l’époque de son Spätprogramm. Vexé? «C’est vrai qu’apparaître chez Giacobbo était presque devenu signe d’importance. Je crois que je n’ai pas le profil nécessaire. Je suis trop mesuré.»

Viktor Giacobbo, l’éternel railleur

26. Januar 2008, Le Temps, von Anne Fournier

L’humoriste alémanique fait, ce dimanche, son retour sur les écrans alémaniques avec une nouvelle émission de satire inspirée de la […]

L’humoriste Viktor Giacobbo est l’invité du cirque helvétique. Quasi inconnu en Suisse romande, il a fait de ses personnages des stars dans les ménages d’outre-Sarine.

 

Le test est convaincant. Abordez un passant alémanique avec un rocailleux «sooo guet» («siiiii bon»). Il y a de fortes chances qu’il réponde: «Viktor Giacobbo» ou «Fredi Hinz». Les deux références sont archiconnues en Suisse alémanique. Le premier, satiriste zurichois, est le créateur et l’interprète du second, friand de pétards aromatisés avec des airs de Bon Jovi. Il a tout: le jeans serré, les cheveux collés aux tempes avec des mèches rebelles et le coup d’oeil hagard. C’est lui qui répète que tout est «sooo guet».

Depuis le 24 mars, ils sont les vedettes de la tournée du cirque Knie. En terre alémanique seulement. Le rire érige des frontières plus épaisses que les goûts alimentaires ou les opinions politiques. En Suisse alémanique, la réputation de Fredi Hinz est impressionnante. Récemment, le rédacteur en chef du Matin, Peter Rothenbühler, a adressé, via la Weltwoche, une lettre à Fredy Knie. «Vous ne devriez pas nous priver, nous les Welsches, de Viktor Giacobbo. […] Même avec un français hésitant, il aurait encore plus de succès à Lausanne ou Genève qu’à Zurich. Il y aurait l’effet d’une météorite comme un jour Emil.»

A 54 ans, Viktor Giacobbo n’est pas que Fredi. Il est aussi Harry Hasler, connu pour la pilosité d’or de son torse, l’explosive ménagère blonde Debbie Mötteli ou Rajiv, l’Indien, friand de bonnes occases. C’est de la satire pour grand public qui souvent s’attache aux tracas de la suissitude.

Autodidacte de l’humour et typographe de formation, Viktor Giacobbo a manifesté ses penchants très jeune. «Enfant, j’imitais ma tante. A 10 ans, j’ai commencé à dire à haute voix ce que ma mère disait d’elle quand elle était absente. Moi j’attendais qu’elle soit là.» Plus tard, ce sont des soirées de cabaret qui se succèdent. «Et c’est devenu mon activité professionnelle.» Viktor Giacobbo a créé Fredi Hinz à la fin des années 90 lors de son émission de satire Viktor Spätprogramm qui a scotché jusqu’à 500000 téléspectateurs derrière leur petit écran. En 2002, quand il abandonne, après douze ans, son passage régulier à la TV, c’est un miniséisme.

Sous le chapiteau de Knie, l’artiste arbore trois personnages, désemparés dans ce monde de sciure et d’éléphants. Il y a Debbie, «trop bête pour savoir le français», Rajiv et Fredi. Après le spectacle, dans sa roulotte arrêtée à Saint-Gall, Viktor Giacobbo accueille les médias venus récolter ses impressions de cirque. Derrière ses lunettes d’intellectuel, il a l’allure d’un homme sérieux, timide et peu désireux de parler de sa vie privée.

Mais que pense-t-il d’un éventuel crochet avec Knie en Suisse romande? «Je peux parler français avec des amis mais je ne me sens pas prêt pour un spectacle. Je ne veux pas de personnages qui font rire en raison de leur accent. Et puis, j’écris avec l’idée que les gens connaissent mes personnages.» Et c’est vrai. Ici tout le monde connaît jusqu’aux problèmes sexuels de Fredi Hinz.

Libre dans l’écriture, le Zurichois a puisé sans gêne dans les potins des Knie. Du coup, une princesse monégasque, autrefois intime du chapiteau, a droit au chapitre. Dans la séance de l’après-midi, les rapports à l’actualité politique sont rares. L’essentiel du public n’est pas en âge de voter. La satire de nos représentants à Berne reste pourtant un des plats chéris de Viktor Giacobbo.

La politique suisse est très inspiratrice, assure-t-il. «Je trouve toujours de quoi faire, comme par exemple la formule magique du Conseil fédéral, qui rouille. Il n’y a pas que les assurances maladie comme sujet; là j’aurais plutôt tendance à m’épuiser.» Ses convictions personnelles sont à gauche, mais qu’il s’en prenne à Ueli Maurer ou à Moritz Leuenberger, les lames restent acérées.

Et les politiciens le lui rendent bien. Le conseiller national UDC Christoph Mörgeli s’était étonné en public, avec plus ou moins d’humour, que la commission fédérale contre le racisme ne soit pas intervenue en raison du personnage de Rajiv.

Loin du chapiteau, l’humoriste s’active autour du Casino-Théâtre de Winterthour qu’il dirige depuis six ans. Et qui se profile comme l’antre alémanique du rire. «Sans subvention mais avec des gens de qualité.» Et puis, il y a le cinéma. Il a assuré le scénario de plusieurs films, dont Micmac à La Havane, succès en Suisse alémanique, mais véritable flop en terres romandes. Pourtant, en matière d’humour, les grandes barrières ne sont pas linguistiques, soutient-il. «Ce sont des frontières sociales. Tous les Anglais ne pratiquent pas l’humour noir.»

Pour le futur, Viktor Giacobbo évite les plans de carrière mais n’entrevoit pas de Fredi à Genève ou Lausanne. Dès le 26 avril, le comique fera pourtant une percée en Suisse romande, en apparaissant dans le film Je m’appelle Eugen de Michael Steiner (Grounding). Un Harry Potter à la bernoise dans lequel il joue le rôle – modeste – d’un flic grincheux. Tout ce qu’il n’est pas dans la vie, lui qui se qualifie de «privilégié».

Satiriste alémanique chez Knie

18. April 2006, Le Temps

L’humoriste Viktor Giacobbo est l’invité du cirque helvétique. Quasi inconnu en Suisse romande, il a fait de ses personnages des […]

Il y a quelque temps, des amis zurichois sont venus assister à un spectacle de Marie-Thérèse Porchet à Yverdon. Ils étaient fascinés. Mais il était évident que la plupart de ceux à qui ils racontaient l’expérience n’avaient jamais entendu le nom Marie-Thérèse Porchet. Ils ne comprenaient rien non plus aux extraits spontanément proposés par mes amis. Si le «Röstigraben» n’est en vérité guère un fossé gastronomique, il est manifestement un fossé du rire. Nos comiques ont bien les rieurs de leur côté – mais chacun seulement de son côté.

Parlant de l’humour en Suisse, un animateur romand a répondu à la question «combien de comiques connaissez-vous du côté alémanique?»: «Oh plusieurs – Emil, Blocher et Köbi Kuhn.» Ce n’est pas mieux chez nous, où on trouve encore moins de comiques romands au Festival de l’humour à Arosa qu’on ne trouve de confrères suisses alémaniques au Festival du rire à Montreux.

Un exemple récent: Est-ce que vous connaissez Fredi Hinz ou Debbie Mötteli? En Suisse alémanique, ces deux personnages du comique winterthourois Viktor Giacobbo (autre nom célèbre chez vous?) font, pour le public, carrément partie de la famille. Fredi, le chômeur et amateur de haschisch, et Debbie, la plus blonde des blondes, ont fait un tabac vendredi dernier dans le manège du cirque national Knie. Mais le public de votre côté de la Sarine n’aura pas la chance de voir Viktor Giacobbo jouant Fredi Hinz sur le chameau Suleika – après qu’on lui ait expliqué qu’on n’allait pas créer pour lui un numéro avec une baleine. Et le cirque-pas-tout-à-fait-national ne se présentera pas en Suisse romande et au Tessin avec la version française du slogan «Knie – sooo guet!», cette expression si familière à Fredi Hinz. Giacobbo et Knie sont convaincus que ces personnages et leur humour ne marcheraient pas entre Delémont et Genève.

Emil, lui, en tant qu’invité spécial chez Knie en 1977, a fait un tabac partout – même si une partie de vos rires doivent être attribués à son français approximatif et son personnage de Suisse très très alémanique, légèrement limité intellectuellement – n’est-ce pas? Les clowns comme Dimitri ou Gardi Hutter eux aussi fonctionnent partout. Mais avec l’humour linguistique, avec la satire, il y a un problème. Les différentes composantes culturelles de la Suisse peuvent bien travailler ensemble ou créer une entité politique, s’apprécier mutuellement ou voter de façon de plus en plus similaire. Mais rigoler ensemble, c’est difficile. Dommage qu’on n’ait pas osé vous présenter Giacobbo et ses personnages: on s’est privé d’une excellente chance de réduire le fossé du rire.

Pour la rigolade commune nous resterions alors limités au «cirque bernois» (comme l’a appelé le président Moritz Leuenberger lui-même, interpellé par Fredi Hinz, à la première de Knie): suivre un discours de nos conseillers fédéraux dans une autre langue reste une expérience amusante.

Rigoler ensemble

30. März 2006, Le Temps, von Fredy Gsteiger

Il y a quelque temps, des amis zurichois sont venus assister à un spectacle de Marie-Thérèse Porchet à Yverdon. Ils […]

2017