Viktor Giacobbo

, 18. April 2006

Satiriste alémanique chez Knie

L’humoriste Viktor Giacobbo est l’invité du cirque helvétique. Quasi inconnu en Suisse romande, il a fait de ses personnages des stars dans les ménages d’outre-Sarine.

 

Le test est convaincant. Abordez un passant alémanique avec un rocailleux «sooo guet» («siiiii bon»). Il y a de fortes chances qu’il réponde: «Viktor Giacobbo» ou «Fredi Hinz». Les deux références sont archiconnues en Suisse alémanique. Le premier, satiriste zurichois, est le créateur et l’interprète du second, friand de pétards aromatisés avec des airs de Bon Jovi. Il a tout: le jeans serré, les cheveux collés aux tempes avec des mèches rebelles et le coup d’oeil hagard. C’est lui qui répète que tout est «sooo guet».

Depuis le 24 mars, ils sont les vedettes de la tournée du cirque Knie. En terre alémanique seulement. Le rire érige des frontières plus épaisses que les goûts alimentaires ou les opinions politiques. En Suisse alémanique, la réputation de Fredi Hinz est impressionnante. Récemment, le rédacteur en chef du Matin, Peter Rothenbühler, a adressé, via la Weltwoche, une lettre à Fredy Knie. «Vous ne devriez pas nous priver, nous les Welsches, de Viktor Giacobbo. […] Même avec un français hésitant, il aurait encore plus de succès à Lausanne ou Genève qu’à Zurich. Il y aurait l’effet d’une météorite comme un jour Emil.»

A 54 ans, Viktor Giacobbo n’est pas que Fredi. Il est aussi Harry Hasler, connu pour la pilosité d’or de son torse, l’explosive ménagère blonde Debbie Mötteli ou Rajiv, l’Indien, friand de bonnes occases. C’est de la satire pour grand public qui souvent s’attache aux tracas de la suissitude.

Autodidacte de l’humour et typographe de formation, Viktor Giacobbo a manifesté ses penchants très jeune. «Enfant, j’imitais ma tante. A 10 ans, j’ai commencé à dire à haute voix ce que ma mère disait d’elle quand elle était absente. Moi j’attendais qu’elle soit là.» Plus tard, ce sont des soirées de cabaret qui se succèdent. «Et c’est devenu mon activité professionnelle.» Viktor Giacobbo a créé Fredi Hinz à la fin des années 90 lors de son émission de satire Viktor Spätprogramm qui a scotché jusqu’à 500000 téléspectateurs derrière leur petit écran. En 2002, quand il abandonne, après douze ans, son passage régulier à la TV, c’est un miniséisme.

Sous le chapiteau de Knie, l’artiste arbore trois personnages, désemparés dans ce monde de sciure et d’éléphants. Il y a Debbie, «trop bête pour savoir le français», Rajiv et Fredi. Après le spectacle, dans sa roulotte arrêtée à Saint-Gall, Viktor Giacobbo accueille les médias venus récolter ses impressions de cirque. Derrière ses lunettes d’intellectuel, il a l’allure d’un homme sérieux, timide et peu désireux de parler de sa vie privée.

Mais que pense-t-il d’un éventuel crochet avec Knie en Suisse romande? «Je peux parler français avec des amis mais je ne me sens pas prêt pour un spectacle. Je ne veux pas de personnages qui font rire en raison de leur accent. Et puis, j’écris avec l’idée que les gens connaissent mes personnages.» Et c’est vrai. Ici tout le monde connaît jusqu’aux problèmes sexuels de Fredi Hinz.

Libre dans l’écriture, le Zurichois a puisé sans gêne dans les potins des Knie. Du coup, une princesse monégasque, autrefois intime du chapiteau, a droit au chapitre. Dans la séance de l’après-midi, les rapports à l’actualité politique sont rares. L’essentiel du public n’est pas en âge de voter. La satire de nos représentants à Berne reste pourtant un des plats chéris de Viktor Giacobbo.

La politique suisse est très inspiratrice, assure-t-il. «Je trouve toujours de quoi faire, comme par exemple la formule magique du Conseil fédéral, qui rouille. Il n’y a pas que les assurances maladie comme sujet; là j’aurais plutôt tendance à m’épuiser.» Ses convictions personnelles sont à gauche, mais qu’il s’en prenne à Ueli Maurer ou à Moritz Leuenberger, les lames restent acérées.

Et les politiciens le lui rendent bien. Le conseiller national UDC Christoph Mörgeli s’était étonné en public, avec plus ou moins d’humour, que la commission fédérale contre le racisme ne soit pas intervenue en raison du personnage de Rajiv.

Loin du chapiteau, l’humoriste s’active autour du Casino-Théâtre de Winterthour qu’il dirige depuis six ans. Et qui se profile comme l’antre alémanique du rire. «Sans subvention mais avec des gens de qualité.» Et puis, il y a le cinéma. Il a assuré le scénario de plusieurs films, dont Micmac à La Havane, succès en Suisse alémanique, mais véritable flop en terres romandes. Pourtant, en matière d’humour, les grandes barrières ne sont pas linguistiques, soutient-il. «Ce sont des frontières sociales. Tous les Anglais ne pratiquent pas l’humour noir.»

Pour le futur, Viktor Giacobbo évite les plans de carrière mais n’entrevoit pas de Fredi à Genève ou Lausanne. Dès le 26 avril, le comique fera pourtant une percée en Suisse romande, en apparaissant dans le film Je m’appelle Eugen de Michael Steiner (Grounding). Un Harry Potter à la bernoise dans lequel il joue le rôle – modeste – d’un flic grincheux. Tout ce qu’il n’est pas dans la vie, lui qui se qualifie de «privilégié».

2017