Viktor Giacobbo

La Liberté, 11. Mai 2013, von Ariane Gigon

Un comique pour sauver la Suisse

Humour • Dans son film «Le grand canton», l’humoriste alémanique Viktor Giacobbo interroge des dizaines de personnalités sur l’adhésion de l’Allemagne à la Suisse.

En Suisse alémanique, un cauchemar particulier se cristallise souvent dans les discussions de bistrot: la Suisse serait sur le point de devenir un Land allemand, l’annexion ne serait qu’une question de temps. ViktorGiacobbo, le satiriste le plusconnu outre-Sarine, a imaginé l’inverse: l’adhésion de l’Allemagne à la Suisse, et il en a fait un film qualifié de «documentaire satirique» – «Le grand canton» – qui sort la semaine prochaine.

Il y donne la parole à une trentaine de personnalités politiques, littéraires ou économiques de Suisse ou d’Allemagne, qui donnent leur avis, pince-sans-rire ou sérieux, sur l’opportunité de l’agrandissement soudain de la Suisse à près de 90 millions d’habitants (voir ci-dessous).

Document humoristique

«Le genre du documentaire satirique n’est pas très connu chez nous, mais il a un certain succès aux Etats-Unis, explique Viktor Giacobbo. Je suis un fan de l’humoriste américain Bill Maher, qui a réalisé «Religulous» («Relidicule», 2008). On pourrait aussi citer Michael Moore. Mon rêve, pour un prochain film, serait de réaliser un documentaire satirique mais joué par des acteurs.»

Des scènes jouées, il y en a déjà quelques-unes, dans «Der grosse Kanton». Celle montrant des réfugiés allemands tentant de rejoindre, à la nage, la Suisse par le lac de Constance est hilarante. Mais ces moments sont rares. L’ensemble du film rappelle plutôt les shows télévisés que Viktor Giacobbo codirige ou dirige – avec un succès quine se dément pas – depuis 1990 (avec une interruption de six ans jusqu’en 2008) à la télévision alémanique.

Un imitateur talentueux

Typographe, puis correcteur et documentaliste, Viktor Giacobbo (61 ans) est une véritable institution, outre-Sarine. Avec un sens consommé de la dérision, mais surtout une grande finesse dans l’observation du monde, Viktor Giacobbo s’est fait connaître grâce à ses personnages, du frimeur Harry Hasler au fumeur de joints Fredi Hinz, en passant par Debie Mötteli, parfaite cruche zurichoise, l’immigré italien à l’accent plus que prononcé Gian Franco Benelli ou Rajiv Prasad, l’Indien libidineux au sens des affaires sans pareil.

Mais Giacobbo et son équipe sont aussi très forts dans l’imitation. Certains tics de langage – comme le «who cares?» du journaliste et entrepreneur Roger Schawinski – sont devenus célèbres grâce à leur imitation. Gilbert Gress, Moritz Leuenberger, Carla Del Ponte ou Ueli Maurer (imité par Viktor Giacobbo lui-même) sont aussi régulièrement «invités» dans les émissions satiriques, qui engrangent parmi les meilleurs scores de la télévision publique, selon l’humoriste (entre 30 et 40% de parts d’audience).

Levrat est fan

Les «vraies» personnalités se pressent d’ailleurs au portillon. «J’adore aller dans son émission», dit Christian Levrat, qui, maniant lui aussi très bienl’humour – ainsi que l’allemand – y a fait de brillants passages. De son côté, Viktor Giacobbo est convaincu «que les politiciens ont envie de semontrer sous un autre jour et, ainsi, de toucher un autre public.»

Si ses liens avec la Suisse romande sont ténus – il dit avoir un peu honte de parler en anglais avec ses amis Pierre Naftule et Joseph Gorgoni, rencontrés avec le Cirque Knie – la Suisse romande vient à Giacobbo, ou plutôt dans son théâtre, fondé avec d’autres artistes en 2000, le Casinotheater de Winterthour: en décembre, le duo de «120 secondes» s’y produira dans le cadre de sa tournée. C’est la seule date pour laquelle des billets sont encore disponibles. I

Une Suisse à 90 millions d’habitants!

L’idée d’intégrer l’Allemagne à la Suisse, trame du documentaire satirique «Der grosse Kanton», est commentée par une trentaine de personnalités allemandes et suisses, qui se succèdent devant la caméra, parfois goguenardes, souvent franchement amusées et se prenant volontiers au jeu. Le chef de la SSR Roger de Weck, l’éditeur Michael Ringier, le banquier Oswald Grübel, le professeur zurichois Peter von Matt, la conseillère fédérale Doris Leuthard, le chef du PLR Philipp Müller ou Oskar Freysinger ont joué le jeu.

Le président du Parti socialiste suisse Christian Levrat a également été sollicité. «J’aimebeaucoup le basculement de logique opéré par Giacobbo, son ton décalé, surtout sur un sujet sérieux faisant intervenir des éléments identitaires. J’expérimente au quotidien à quel point, dans leurs rapports avec l’Allemagne, les Alémaniques sonttraumatisés.» AG

> www.der-grosse-kanton.ch

2017